De 1994 à 2000 j'ai parcouru le bassin méditerranéen à la recherche des différentes civilisations qui s'y sont succédées et croisées. Certaines sont passées, d'autres se sont installées durablement mais toutes ont laissé une empreinte. Mon projet "Entre deux mondes" (Éditions Actes Sud 2001) m'a permis de découvrir une mosaïque de peuples dans une mosaïque de territoires. C'est ainsi que j'ai pu rencontrer, par exemple, l'Islam en Sicile et en Espagne, la Grèce en Syrie, la France au Maroc, Rome en Libye....
Je suis allé au Maroc à l'automne 1994, il s'agissait des premières prises de vues du projet et tout était ouvert. Mon idée de base était de suivre les pas d'un voyageur curieux des autres et de leurs différences. L'attrait de la montagne (j'avais parcouru la plupart des montagnes de Suisse et les Parc nationaux français) et du désert (souvenir de quelques voyages à travers le Sahara, époque bénie..) m'ont conduit naturellement vers l'Atlas et le sud. Comme tout touriste mon attention a été attiré par l'architecture fortifiée du sud et pensais lui rendre hommage.
Lorsque l'on pense architecture vernaculaire du sud marocain, l'image qui vient à l'esprit est la forteresse en terre. C'est cette image qui est mise en avant dans les guides touristiques pour vanter la beauté du paysage. Mais ces ensembles fortifiés ne sont pas les seuls à utiliser la technique de terre. On trouve de très nombreuses constructions (la majorité en fait) qui ne relèvent pas de l'architecture défensive et fermée. J'ai fait le choix (par affinité) de modifier le projet et de privilégier une architecture plus modeste représentée par les enclos, les murs de clôtures, ceux desservant les jardins, les resserres agricoles, fermettes et maisons de village. C'est un hommage aux bâtisseurs et aux familles qui les entretiennent.
Les femmes et hommes du sud ne laissant pas facilement entrer l'étranger dans leur intimité, je ne suis pas rentré dans les maisons ni dans les jardins. Je n'ai travaillé qu'à l'extérieur des bâtiments, de loin, en les intégrant dans un paysage plus vaste. Mais j'ai pu rencontrer les maçons, voir leur technique, assister à l'extraction de la terre à proximité du chantier, à la mise en place des coffrages, au remplissage des banchées d'une boue mêlée de paille qui une fois sèche brille au soleil comme de l'or. Bref, j'ai découvert et admiré un savoir faire dont j'avais vu les résultats, non seulement au cours de mes voyages mais tout simplement en France, tout près de chez moi.
Lorsque Catherine Grandin Maurin m'a demandé de prévoir une exposition ayant pour sujet la terre dans l'architecture, j'ai pensé à ce travail marocain dans lequel seules les réalisations humaines sont présentes (comme dans tous mes travaux anciens) et où la moindre silhouette est bannie pour privilégier la construction de l'image. Je me suis également souvenu d'un travail en 2000 sur le hameau de terre à Villefontaine à la demande du CAUE (déjà). Ce hameau célèbre auprès des étudiants et des architectes, reçoit de nombreux visiteurs depuis sa création et il semble que l'on s'attache plus particulièrement (seulement?) à étudier les différentes techniques employées par les dix équipes d'architectes, les différentes esthétiques extérieures et les différentes utilisations du matériau terre.
Le projet photographique a été pour moi l'occasion de lier les deux espaces (sud Maroc et Isère), lier les deux travaux et de terminer le travail engagé en 1994 en associant les habitants. Il semble que le moment était venu pour moi d'intégrer l'homme au cœur de mon travail. D'un personnage n'existant que par ses traces, l'humain pourrait devenir le sujet principal de mon œuvre et l'architecture le décor de sa mise en espace.
Tout au contraire de la démarche de technicien (pris au sens noble du terme évidemment), j'ai décidé d'entrer en discussion avec les habitants, de leur proposer d'être partie prenante du projet photographique, de les questionner sur les motivations qui les ont amenés à faire le choix (ou non) de cet habitat, de les écouter et les honorer.
La plupart des premiers locataires avaient décidé d'habiter ce quartier expérimental par choix raisonné, peut-être en pensant être associé à une aventure alternative et avec l'espoir, pour certains, de devenir propriétaire de leur logement. Il en reste très peu.
La vocation sociale du quartier a fait qu'au cours des décennies qui ont suivies, les locataires ne choisissaient pas vraiment de venir emménager par gout du matériau. La plupart n'en n'ont même pas fait mention au cours de nos échanges. Certains en étaient conscients et nous l'avons ressenti par les conversations, par l'appropriation de l'espace intérieur et extérieur.
Avec Nasma, mon épouse (nous travaillons ensemble) nous avons rencontré des familles qui ont bien voulu nous recevoir, nous parler et se prêter au jeu de la photo de famille avec générosité, en toute simplicité et avec naturel.