Je photographie la ville de Rochefort depuis 1987 à l'initiative et sur une idée d'Emmanuel Lopez. Pendant ces années, j'ai investi la ville au sens large du terme, de jour comme de nuit.
Mon propos était de travailler sur les espaces monumentaux de l'arsenal qui me renvoyaient une charge émotionnelle forte. Puis, sont venus les terrains et bâtiments cédés par la marine, sans oublier l'arrivé de l'autoroute. Je n'ai délaissé ni le port de commerce ni les faubourgs.
J'ai eu besoin d'un temps d'adaptation pour accepter et absorber l'étrangeté de cette ville militaire, sa beauté, la monumentalité qui s'en dégageait.
La méthode choisie et qui s'est imposée à moi est le long terme, sinon le très long terme (une vingtaine d’année) pour me sentir "chez moi". Et je ressens bien cette impression de "retour" lorsque je suis à Rochefort.
Ces nouvelles recherches sont bien dans la continuation de mes précédents travaux. Connaissant déjà les lieux je me suis investi avec enthousiasme dans cette redécouverte des espaces avec lesquels je me sentais jadis en harmonie.
L'embouchure de la Charente et l'arsenal de Rochefort obtiendra le label "Grand site", ce qui impliquera restauration, préservation et mise en valeur du territoire. Seront désormais protégés l’arsenal de Rochefort, les rives de la Charente, ainsi que l’estran et la mer de part et d’autre de l’embouchure du fleuve, en incluant l’île Madame, l’île d’Aix.
Le fleuve en est la colonne vertébrale. Je suis passé de l'urbain à la campagne, des pâturages au marais, de la terre à la mer et aux îles en ayant toujours à l'esprit et continuellement à portée de vue cette Charente et l'ensemble de l'arsenal qui la ponctue.
J'ai pris pour règle l'idée de me mettre à la place d'un visiteur venant découvrir le "Grand site".
Que va-t-il voir, que va-t-il comprendre, comment va-t-il le parcourir? Trouvera-t-il une unité à des paysages aussi différents que la ville Tonnay-Charente et ses friches industrielles que constituent les anciens quais de chargement de marchandises et les îles d'Aix et Madame à l'opposé géographique et esthétique?
Le Paysage des marais, des bords de Charente et des terres agricoles et de pacage, peut sembler "modeste" et monotones de premier abord.
Pour essayer de le comprendre, je me suis efforcé de parcourir l'ensemble du territoire à toutes les saisons, avec différents moyens de locomotion pour bien m'en imprégner.
J'ai traité en noir et blanc: le fleuve, le bord de mer ainsi que l'ensemble défensif militaire de l'estuaire pour bien les différencier du reste du paysage. Les vues délicates des rivages y gagnent en force, celles des défenses militaires en dramaturgie car n'oublions pas que l'arsenal de Rochefort, sous ses formes actuelles de monuments historiques, était une formidable machine de guerre.
Pour moi, qui ai fait des terres du bassin méditerranéen un des champs de mon expérience et de ma vie artistique, je dis toujours que je "transporte ma lumière". Je méditerranéise * le territoire sur lequel je travaille. En résidence au Touquet, j'ai quelque peu transformé, par choix artistique, la ville du Nord en une ville balnéaire du midi par la violence de la lumière.
Cette rencontre avec ces terres de la façade atlantique, je l'ai voulue dans le respect de sa lumière, dans celle de ses matins brumeux d'hiver comme celle violente de l'été. Mais ce qui fait la différence avec nos régions du sud c'est le ciel. Un ciel avec lequel il faut compter, présent, vaste et habité. J'ai tenté de l'utiliser pour compléter le décor de ma pièce.
Alain Ceccaroli novembre 2013
* Edgar Morin, CONFLUENCES Méditerranée - N° 28 HIVER 1998-1999