À l'occasion de mon projet "Les formes de l'ordinaire" j'ai travaillé sur la vieille ville d'Alep. J'y ai porté un regard sur la problématique de la "restauration" d'une ville antique inscrite au patrimoine de l'humanité. Au cours des trois années de recherches j'ai côtoyé la population, je m'y suis fait des amis et l'on peut comprendre que je sois très touché par la guerre qui fait rage en Syrie et par le sort de ses réfugiés espérant trouver paix et travail en Europe. Descendant en partie d'émigrés italiens, le sort de tous les réfugiés et déplacés m'affecte et me perturbe.
C’est ainsi qu’est née l’ébauche d'une recherche photographique qui rassemblera ces visions de flux migratoire, de frontière ou de barrière, qui élargira mon horizon par un travail différent de ce que j'ai pu faire jusqu'à ce jour.
Refaire, rejouer ou répéter l’histoire du passage de la frontière.
Le décor
Au début il y a un décor: les frontières terrestres françaises à travers les Alpes et les Pyrénées. Ce sont les lieux de passage sur lesquels je désire travailler. La morphologie du terrain les rend difficiles à franchir pourtant, des foules les ont franchies au cours des siècles. Elles ont une charge symbolique forte et je veux en faire l’image de la frontière en général. Dans ce décor je viens y inscrire un élément de fiction: un acteur qui rejoue le passage.
Passer la frontière bouleverse les migrants qui la franchissent. Je veux donc la magnifier pour rendre ce passage agréable. Faisons comme si. Comme si c'était une promenade et non un calvaire. Ce sera un jeu aimable et sérieux à la fois. En même temps, l'envers de l'image parlera du passage du temps, de la tristesse inspirée par ce qui est perdu, de la fragilité de la condition humaine.
Le tableau dans le tableau
J’introduis une photographie de grand format dans un décor réaliste, sorte de "tableau photographique" qui pourrait représenter le cauchemar de voir sa ville détruite ou au contraire la vision de ces instants de bonheur vécus par le passé. La mise en scène en studio étant une fiction intemporelle, j'opère ici une recontextualisation, un espace-temps artificiel. Décor de théâtre dans le paysage de la frontière, j’invite le spectateur à découvrir une histoire plus large, venant d’un ailleurs disant l’origine du voyage et la souffrance du manque de la terre natale.
L'attente
Les prises de vues devant le fond photographique sont complétées par un travail sur l'attente. Dans la migration, l'attente prend très largement le pas sur le mouvement. On attend des informations, un réseau, des contacts, un financement, des compagnons de route… Ces préparatifs nécessaires semblent inaction. Que l'attente soit repos ou préparation du passage, qu'elle soit désir ou crainte, espérance ou impatience, je tente de donner forme aux sentiments et aux situations qu'elle engendre.
L'actrice/l'acteur
Nous allons rejouer la situation du passage dans des conditions décentes et dignes. Les "migrants" se présenteront dans des habits différents de ceux qu'ils auraient récupérés au cours de leur périple. La route a été longue et ils arrivent à nos frontières en état de grande misère physique et vestimentaire. Ici, ils seront élégants, quel que soit le lieu choisi et ce sera dissonant, incongru ou déplacé… Nous allons redonner sa dignité à celle/celui qui passe en lui proposant de choisir son costume de scène.