Ce texte a été écris en novembre 2010 soient 4 mois avant le début des évènements. Le titre original était:
"Alep ou la sérénité retrouvée".
De la Syrie à l'ex-Bosnie-Herzégovine en passant par les villes de Crète, mon propos est de travailler sur des espaces monumentaux : villes balnéaires de Crète avec un passé historique fort, mégapoles grecques envahies par le gigantisme de la consommation, antique cité de Syrie inscrite au patrimoine de l'humanité ou villes de Bosnie martyrisées par les guerres, toutes me renvoient une charge émotionnelle forte. J'ai eu besoin d'un temps d'adaptation pour accepter et absorber leur beauté, leur monumentalité ou bien la tragédie qui s'en dégage, pour apprivoiser les lieux et que les lieux m'apprivoisent, pour transformer ces lieux extraordinaires en lieux ordinaires, pour les démystifier et les banaliser; conditions pour pouvoir y travailler.
J'ai découvert à Alep les plus beaux souks du monde musulman. Sur les ruelles s'ouvrent des khans monumentaux, des caravansérails dont les plus anciens remontent au XVème siècle. C'est là que les occidentaux ouvrirent leurs premiers comptoirs et leurs premiers consulats. La vocation d'échange de la ville ne date pas d'hier : dès le début du XIIIème siècle, les vénitiens s'y sont établis. Ils furent suivis, beaucoup plus tard, par les Hollandais, les Anglais et surtout les Français qui y jouirent longtemps d'un quasi-monopole commercial. La vieille ville d’Alep a été placée sous la protection de l'UNESCO en 1986. J’ai voulu saisir l'impact de ce "label UNESCO" sur l’évolution de ce patrimoine.
Après les épisodes dramatiques comme les invasions du moyen âge et les tremblements de terre, Alep a subi au cours des nombreux siècles de son existence les transformations normales d'une ville commerçante. En ce sens, la ville peut être considéré comme le conservatoire architectural et urbanistique d’une ville figée ou exactement installée dans un rythme de vie séculaire. Alors que les cités méditerranéennes occidentales comme Athènes, en pleine mutation, tentent de « rattraper leur retard », alors que les villes de l’ex-Yougoslavie, meurtries par la guerre, connaissent la métamorphose accélérée de la reconstruction, une ville orientale comme la vieille ville d'Alep échappe à cette course à la « modernité », celle-ci étant conçue comme la conformation à des schémas d’urbanisme et à des stéréotypes architecturaux standards et mondialisés.
La ville orientale, celle que j’ai photographiée ici, de 2002 et 2005, avec ses rues commerçantes et ses remparts, ses écoles, ses ateliers, ses immeubles du début du XXème siècle, évolue au gré d’aménagements qui sont autant de compromis paisibles entre l’histoire et les exigences de la vie quotidienne. Citée sans heurts, sans complexes, où la mémoire n’est pas un obstacle aux adaptations contemporaines, où le passé, au lieu d’être muséifié et embaumé, vit en s’intégrant au présent. Alep a son temps qui la façonne et ce temps n’appartient qu’à elle.