Une exposition de 35 photographies de formats 50 x 60cm à 1,00 x 1,30m.
Travail nocturne
 
Avant de devenir systématique il y a eu un début: le regret de voir le jour se terminer et de ne pouvoir continuer  les prises de vues.
Je photographie peu, n'utilisant l'appareil que pour des campagnes sur des thèmes précis. Au cours de ces campagne j'essaie de rattraper "le temps perdu". L'appareil en mains m'invite à presser le déclencheur, le doigt me démange. Le fait de devoir cesser mes recherches par manque de lumière m'a toujours frustré.
Les premières photographies nocturnes sont apparues pour La Mission Photographique de la DATAR. Mission arrivée au début de ma carrière, décisive pour la suite. Voulant être à la hauteur de la confiance qui m'a été accordée j'ai voulu aller au bout des recherches, fouiller le cadrage, le modifier, le tordre et donc étirer le temps.
En cet été 1985, sur les routes de montagne du centre de la France, l'idée de continuer la nuit m'est apparue. Très impressionné par le travail nocturne de Richard Misrach  "Night Desert"  sur les cactées, je me suis placé entre les phares du véhicule. Éclairage sommaire, difficile à maitriser au tirage,  je l'ai rapidement abandonné.
D'une réponse à une frustration je me suis dirigé vers un travail nocturne raisonné, la plupart de mes travaux comportent un volet nocturne (Rochefort sur mer, Athènes, Thessalonique, La Canée, Mostar, Sarajevo, vieille ville Alep).
La nuit, la ville m'appartient, je m'y sens libre de circuler et de cadrer à ma guise. La parcourir la nuit me permet d'éliminer les personnages qui risqueraient d'introduire une dimension anecdotique ou de changer le lieu observé en décor. La photographie de nuit induit une observation intense et prolongée du monde, elle décèle des réalités imperceptibles à l'œil nu le jour. Elle révèle l'énergie et le caractère profond du lieu représenté. Elle gomme l’anecdote, l'information inutile, en atteste d'autres, plus secrètes, plus essentielles. Elle ne dissimule pas le tragique des lieux mais, par l’étrangeté qu’elle y introduit, le tient à distance et le rend, non pas acceptable, mais ˵ traitable ˶.
La ville machine
 
Après l'extinction des feux, dans les méandres des ruelles, des cales et des quais, nait un autre monde de lueurs et de reflets.
On aurait tort de croire qu'à la nuit tombée, le monde s'endort dans les villes laborieuses, exténué.
On aurait tort de ne prêter ni âme ni vertu aux machines. Ce sont elles qui font le monde, qui le façonnent, le modèlent, l'arriment au socle tellurique. Elles ne dorment jamais, ou bien d'un seul oeil. Elles veillent sur les cales, les quais et les ruelles des ports du bord de mer.
Il faut être noctambule pour les rencontrer. Pour percevoir leur lueur cyclopéenne, leur reflet dans les flaques ou leur scintillement dans la nuit. Pour commencer un dialogue avec le monde de la nuit métallique et chaleureuse. Un monde de labeur muet, de bitume et d'acier en sommeil, de flaques iridescentes et de marins insomniaques. Il faut avoir déjà veillé sur des arbres millénaires, des villes orientales et des souks endormis. Avoir arpenté les lisières et cherché un dessin aux routes de Judée. Il faut être éveillé au milieu de la nuit, aux aguets d'un signe sous l'écorce de rouille.   
Bruno Marmiroli. août 2022
Les formes de l'ordinaire
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